En 2017, après 11 années à nager en bassin avec plus ou moins de réussite, je décide de réaliser l’un de mes rêves les plus fous, la traversée de la manche à la nage. Je me laisse un an pour me préparer à résister au froid, à la distance, pour apprendre à nager en mer. Un an après, le 24 juillet 2018, je m’élance d’une petite plage près de Douvres en Angleterre, dans une traversée de 52 km vers Wissant en France.
La Manche en vidéos :
Le récit :
Dix heure de nage, température 16 degrés, une mer bien capricieuse, une autoroute de bateaux mesurant parfois plus de 300 mètres de long. La manche tient sa réputation d‘Everest des nageurs. Plus que la difficulté physique, ce qui pousse les nageurs à tenter l’expérience, c’est l’idée que l’on peut rallier deux bouts de terre à la simple force de ses bras.
J’ai appris à nager à seulement 2 ans et commencé la compétition à l’âge de 4 ans. La natation c’est toute ma vie, plus jeune, tous mes amis étaient des nageurs, j’étais dans une classe à horaires aménagées pour pouvoir nager le plus possible. Mon seul but dans la vie était de me mettre à l’eau. C’est là que je me sentais bien, vivant, heureux. Dès que je sortais de l’eau je ne pensais plus qu’à y retourner. Alors quand à 14 ans, après plusieurs échecs pour me qualifier aux championnats de France, j’ai compris que j’avais plus ou moins fait le tour de ce qu’il y avait à faire en natation, ça a été très dur à encaisser. Je voulais sortir de ce schéma compétitif qui ne me convenait plus, je voulais m’émanciper, faire quelque chose dans l’eau qui me marque profondément, bien plus que des chronos ou des championnats de France.
Pour la première fois de ma vie, j’ai envisagé d’arrêter tout simplement la natation. J’ai donc tenté l’expérience, arrêter de nager pour comprendre en quoi c’est essentiel pour moi.
Un jour d’août 2017, après plus d’un mois et demi sans mettre le pied dans un bassin, je décide d’aller nager simplement pour le plaisir, sans objectif ni entraîneur, chose que je n’avais jamais fait en 11 ans de natation… En sortant, j’éprouvais un bonheur intense, une flamme s’était ravivée en moi, j’aimais à nouveau la natation. Je me suis mit à rêver, j’ai pensé à Philippe Croison, qui m’avait bouleversé en traversant la manche sans bras ni jambes quelques années plus tôt, « et pourquoi pas moi ? ». Cette nuit là, je l’ai passée à faire des recherches sur la traversée de la manche. Le lendemain matin, j’ai appelé mon père: « papa, je vais traverser la manche à la nage ». Beaucoup de gens m’ont demandé quand est-ce que j’ai su que j’allais y arriver, pour moi c’est à ce moment précis. Je me suis laissé un délai d’un an pour me préparer, c’est court, mais le bac m’empêchait de le faire l’année suivante.
Mon père est vraiment dévoué, même s’il pensait que ma folie des grandeurs s’arrêterai subitement avant l’échéance, il m’a suivi dans toute la France et a donné toute son énergie pour me soutenir, surement aussi pour se rassurer.
Cours de Yoga, distances de plus en plus longues: 2,5 km, puis de 5 km, puis 15… Il a commencé a étudier le refroidissement du corps, à calculer exactement l’heure et l’emplacement idéal pour partir (il a su prévoir mon arrivé à 50 mètres et 15 minutes près un an à l’avance). Il ne m’a jamais poussé là ou je ne voulais pas aller et a toujours trouvé les mots justes pour me motiver. Mon père c’est vraiment un homme de l’ombre, il n’est jamais très loin, mais jamais trop visible et a toujours une solution miracle. Lorsque l’on a besoin de lui, il résout notre problème et s’éclipse jusqu’à ce qu’on ait de nouveau besoin de lui.
Pendant l’hiver, ne pouvant nager en eau libre à cause des faibles températures, j’ai décidé d’aller tous les jours en short et T-shirt au lycée. Cela m’a valut quelques moqueries et regards intrigués, mais j’étais heureux et mon corps s’adaptait à une vitesse grand V. Les jours de neige, je prenais mon vélo, toujours en short et T-shirt, pour m’habituer au froid le plus extrême. Je faisais aussi régulièrement des bains glacés (eau à 1 degré), sous la neige, préparation à la dure.
En mars de l’année 2018, je rencontre un homme qui va changer ma vie. Sebastien Payet. C’est un coach mental qui m’a accueilli chez lui pendant 2 jours, qui auront été les plus intenses de ma vie. Je pense que j’ai appris plus pendant ces deux jours que pendant mes 15 années d’études. Il m’a appris à maîtriser mon corps, à le comprendre, à comprendre mes émotions et les contrôler. il m’a aussi beaucoup appris sur mes doutes, leur nature, sur la manière de surmonter des obstacles. Il m’a donné une force intérieure qui ne m’a jamais quitté depuis, une confiance absolue en mon corps et mon esprit. Depuis je n’ai plus jamais eu de problèmes de santé, mon mal de jeunesse s’est estompé, j’ai compris pourquoi j’existe.
Quatre mois avant mon échéance, en avril 2018, j’augmente encore la charge d’entraînement, passant de 7 à 9 entraînement de 2h de natation par semaine. Je commence à sentir que mon corps est prêt à encaisser la distance. Je dois participer à un stage de préparation de la traversée de la manche, à la suite duquel je dois recevoir un certificat que j’ai la capacité de tenter une traversée.
Le stage doit durer 3 jours, au cours des deux premiers 3 sorties de une heure de nage sont prévues en mer, et le dernier jour une sortie de 6 h doit nous permettre de valider le certificat. L’eau est à 12 degrés, des vagues de un mètre de haut donnent l’impression d’être dans une machine à laver. Je m’enduis de graisse de phoque pour mieux résister au froid et part pour la première sortie. Une heure et quart plus tard, je suis ramené en bateau à moteur sur la plage, ma température corporelle est de 29,7 degrés. Cette sensation ne peut même plus être appelé du « froid », je tremble pendant 1 h, on me sert du thé bien chaud dans une tasse, tout son contenu se renverse sur moi à cause de mes tremblements, mais je ne sens même pas la brulure au deuxième degré, ma peau est anesthésiée par le froid. Le lendemain je ne tiens que 45 mn, mon corps est à 31 degrés, idem pour la troisième sortie. Et dire que je dois nager 6h d’affilée dans une eau aussi froide pour valider mon billet pour la manche, c’est littéralement, physiquement impossible, j’ai beau avoir un bon mental, j’ai atteins les limites de mon corps et de ses 3% de masse graisseuse.
Complètement épuisé par les trois hypothermies que je viens de faire, je décide quand même de tenter le test de 6h, mais vêtu d’une combinaison. Je n’ai jamais nagé plus de 3 h d’affilée, mais je m’en sens capable au vue de l’entraînement que j’ai. Je parcours 26km au cours des 6h, la combinaison me permet de garder un peu de chaleur au niveau du coeur, je ne fais pas d’hypothermie cette fois, même si mes pieds et mains restent insensibles une heure après la sortie de l’eau. C’est bon, j’ai mon billet de départ pour la traversée, en juillet prochain.
La suite arrive prochainement 😉